L’œil le hante, il y a là quelque chose qui ne fait pas vraiment «couleur locale », les rêves, les visions, les références. L’une des explications peut provenir des expats. Le brassage culturel même dans ces conditions peut amener certains changements. Des gens qui haïssaient les anchois, ce retrouvaient subitement à les apprécier à leur retour, bien qu’ils n’en aient pas consommé durant le séjour, et d’autres petites choses toutes aussi étranges. Bien sûr cela est bien souvent assez léger, et affecte surtout les plus jeunes (tout du moins les plus réactifs), mais les rêves sont tout autant susceptible d’en être affectés. De plus il a eu entre les mains des papiers justifiant près d’une vingtaine de nationalités différentes dans le camp. Mais rien ne justifiant qu’il n’y en ait pas d’autres.

Le rêve le trouve vite. Mais cette fois il ne se laisse pas entrainer, il se dégage. Il observe. Le camp lui apparait tel quel. Il est dehors, il fait nuit. Son image onirique perçoit les gens encore dans la salle commune. La fatigue en guette certains qui rêvent alors éveillés. Chacun voyant le reste du groupe à sa façon, Métis peut voir les nuances de chacun, quelqu’un se concentrera sur le nez de son interlocuteur et ne verra que cela, son rêve en sera marqué et bien souvent seule cette partie sera distincte, le reste des traits étant floue. Métis accède à toutes ces informations simultanément.

Cet état est la cause de bien des hallucinations. N’avez-vous jamais vu quelqu’un bouger sur le coin de votre champ visuel, pour vous apercevoir en vous retournant qu’il n’y a rien ?
Métis sait que paradoxalement, ces rêveurs peuvent le voir, aussi continue-t-il de se tenir discret. Accroupis, un genou à terre sur le toit de son préfabriqué, il prend la température du camp. Il a encore son demi-sourire, la plupart des expats ont l’habitude de travailler dans des salles bien souvent trop climatisées. Leur perception de la chaleur environnante en est affectée, leurs rêves le sont aussi. Passant de l’un à l’autre Métis perçoit presque 10 degrés de différence. Les sommeils ne sont pas assez profonds pour attirer le rêve. Mais s’il ne s’est trompé, quelque chose les observe.

Quelque chose les observe, mais n’appelle que les habitants du nord du pays, et les asiatiques. Après enquête les contracteurs chinois sont les seuls à souffrir du même type d’accident qui avait alerté Vogari. Quelque chose les observe, mais n’appelle que certaines personnes. Métis décide de changer de perspective, laisse les rêves éveillés des expats, il leur devient invisible. Certains des ingénieurs chinois sont déjà allé se coucher, c’est dans leur rêve qu’il se trouve, mais lui n’a pas changé d’endroit. Le changement de perspective découvre quelque chose là dans les ombres.

Les ombres des rêves ne sont pas des zones cachées de la lumière, elles sont des portes, elles permettent le passage du subconscient, souvent il s’agit des cauchemars, ce qui nous terrifie, mais certaines fois il peut aussi s’agir d’autres choses.

Nous sommes rarement seuls dans nos rêves, certaines créatures s’en nourrissent, certaines sont contraintes à lutter contre certaines idées, d’autres ne sont que de passage. Le rôle des marcheurs d’Onis est de s’en occuper, de faire en sorte qu’elles ne prennent pas le pas sur les rêveurs, qu’elles ne contaminent pas d’autres rêveurs. Le rêve unique, celui qui ferait que l’humanité dans son ensemble n’aspirerait plus qu’à une seule chose, ne pourrait plus créer, se diversifier, accepter la différence. Quel banquet pour une ou un groupe de créatures capable de se nourrir de ce rêve… et que dire de ce qui en tiendrait les ficelles ? Que ce soit dans le monde onirique ou dans ce que l’humanité appelle réalité, le danger est bien trop grand… l’enjeu d’un combat que les cohortes d’Onis perdent, malgré leur acharnement.

Quelque chose dans l’une des zones d’ombres bouge, Métis s’en approche à pas de loup. Il n’a pas à redouter de faire de bruit, c’est sa présence qu’il tente de diminuer. Il réussit partiellement, la porte n’est pas fermée. Métis y pénètre.

Derrière… un autre rêve. Le désert le jour. La base vie a été bâtie au nord d’une dune de plusieurs dizaines de mètres de haut, il se retrouve à l’est de celle-ci. Sa taille est aussi nettement moins impressionnante. Les « taches » de végétation qui agrémente le site çà et là, fruit de l’intervention humaine et de ses indispensables déchets n’ont pas laissées de traces ici. Soit ils n’ont pas influence cette partie du site, ce qui semble peu probable. Soit il s’agit ici d’un rêve ancien, d’avant la construction du site, ce qui parait tout aussi invraisemblable. D’après les informations que Métis avait rassemblées il n’y avait rien ici.

Pourtant quelqu’un y était, quelqu’un le rêvait. Certains humains, parmi les plus sensibles, peuvent établir un contact avec leur sol sur lequel ils/elles se tiennent et ont accès à certains épisodes du passé de cette terre. Mais hormis rare exceptions, ce n’est que le fait de certaines cultures animistes et de rares chevaliers d’Onis. Les états d’esprit issu des religions monothéistes ont tendance à étouffer les sens nécessaire à ressentir ce genre de lien, ou de leur donner une signification.
Hors là, en l’absence de toute vie, Métis sent que quelqu’un a tenté de réveiller quelque chose sur ce sol et ce faisant, y a laissé une marque. C’est cette trace qu’il suit maintenant. Il est détaché du rêve, un simple spectateur, il ressent pourtant le désespoir du rêveur, sa douleur, sa peur.

Des traces de pas apparaissent sur le sol pour être aussitôt recouvertes par le sable, bien qu’à aucun moment Métis ne sente le vent se lever. Ses traces viennent d’au-delà l’horizon loin, le rêveur a fui loin et pendant longtemps quelque chose dans la direction opposée. Normalement il aurait dû voir une image de ce que le rêveur fuyait, pas cette fois. Le rêveur ne fuyait pas quelque chose en particulier, peut être une condition, un style de vie. Le désert pouvait même en être le symbole.

Les traces de pas ne viennent que d’une direction, le rêveur doit sentir que Métis le suit. Il/elle se tente de se cacher. Ceci achève de le convaincre, le rêveur fuit.

Le rêveur s’approche de ce qui ne l’ont pas lésé, de fait il cherche ceux du nord du pays et les asiatiques qu’il/elle n’associe pas à ceux qu’il faut fuir.

Des gens de type caucasiens, et les gens du sud ont dû le ou la léser. Mais on ne les cherche pas on les appelle. Métis commence à comprendre ce qu’il se passe. Il cherche une ombre. Il la trouve. Un peigne est tombé au sol, une fabrication artisanale, pas quelque chose du dit occident. Il n’arrive pas tout de suite à lui donner une origine. Mais la façon dont il s’est fiché sur le sol crée une ombre. Métis s’y engouffre.

L’endroit n’a pas changé, juste les couleurs. Le soleil est aveuglant, sa lumière cache le ciel, le sable est bouillant. Des flammes apparaissent çà et là, tombent elles du ciel ou jaillissent t elles du sol ? Il ne saurait le dire. Il fait un pas, la nuit tombe, il fait subitement très froid, les yeux d’ombres informes apparaissent au loin. Métis entend le hurlement aigu de quelques créatures au loin. Un loup se trouve soudain face à lui, grondant.

Le loup n’est pas une créature du folklore local…
Un Loup blanc, immense, la prunelle rouge, luisante comme un soleil couchant… ou une aube sur des prairies plus clémentes. L’agressivité née du désespoir, Métis fait face à l’un des gardiens du Rêve, pas le rêveur en lui-même, sa terreur, cette peur qui pousse à rejeter l’étranger, celui que l’on ne peut éviter. Dans la mythologie européenne, le loup est un animal néfaste, il tue les troupeaux, mange les enfants, il est vicieux et terrible. Mais il n’en est pas de même dans toutes les mythologies, dans les anciennes légendes japonaises, le loup est souvent bénéfique, envoyé des dieux pour protéger un endroit ou une personne. Il est un pont. Dans les légendes natives américaines, il est l’envoyé du grand manitou, pour protéger l’homme du serpent et le garder dans le droit chemin, aussi puissant que l’homme, aussi malin que le serpent. Les loups-garous de ces légendes sont des protecteurs. Choisir cet animale comme gardien ne fait que confirmer les suspicions de Métis, il sait qui, il ne lui manque que de savoir pourquoi et comment.

Le gardien le dévisage en grondant. Métis est si profondément dans le rêve qu’il en devient une autre réalité, une dans laquelle il peut mourir, une banale crise cardiaque dans son sommeil. Le loup grandit encore, grand comme un autobus, les yeux luisants. Métis fait craquer ses phalanges, son demi-sourire aux lèvres.
– Je suis Chevalier d’Onis.

Certaines cultures gardent encore confusément le souvenir des chevaliers d’Onis, dans leurs légendes, ce terme n’étant que la dernière itération d’une fonction aussi vieille que le premier rêve de l’être humain. Qu’est-ce que le marchand de sable ? Morphée ? Et tant d’autres à travers les âges jusqu’à l’avènement du monothéisme ? Et même là, qui douterait des capacités de certains saints, des anges ou de certains prophètes ?

Ce ne sont pas uniquement des mots que transmet Métis, mais l’essence même d’un chevalier d’Onis, l’inspiration, une révélation. Certains peuples ne rêvent que de combats, les chevaliers d’Onis ne sont pas spécifiquement non-violent, ils ne cherchent qu’à multiplier les rêves, s’acharner à rendre chaque être vivant spéciale et différent les uns des autres, par ces rêves, reflets et maitres de ses désirs, dans un certain sens ils nous enrichissent, nous rendent différents, nous permettent d’être tolérants. Ils ne forcent rien, certains diront que c’est là leur faiblesse, c’est probable, c’est aussi leur essence même. Ils ne contrôlent rien, quelle serait la différence entre eux et le rêve unique sinon ? Ils refusent la conformité mais ne nous impose rien, ils ont choisis il y a bien longtemps de nous faire voir les choses sous des aspects différents, d’utiliser nos propres symboles pour nous faire face, ils ont choisis le secret (mais pas toujours l’anonymat) pour y parvenir, s’établir comme Chevalier d’Onis forcerait immanquablement le rêveur à les identifier, un début de direction. Ironie suprême, cette guerre qu’ils perdent, c’est à cette nature qu’ils le doivent, sachant qu’ils ne perdront entièrement pas tant qu’un être humain rêvera.

Métis fait partie des Chevaliers d’Onis « Moderne », il n’est pas spécialement tourné vers la violence, et préfère l’éviter tant que possible. Le cas présent est typique. D’autres que lui, Vogari en tête, se serait jeté à l’assaut du monstre hurlant leur cri de guerre, toutes armes oniriques dehors. On peut faire face à la terreur de plusieurs manières. La violence, le chevalier d’Onis sera alors encore plus craint que la source, la terreur du rêveur sera soumise, et dans un certain sens lui aussi. La compassion est l’arme que d’autres utilisent, certains chevaliers peuvent ainsi éliminer les plus puissantes craintes, simplement en ouvrant les bras. Métis n’a jamais rien vu d’aussi beau que ces chevaliers-là, œuvrant, regrettant quelque fois de ne pouvoir en être. Il n’a pas assez d’amour en lui pour cela. Il a pourtant sa propre arme.

Lorsque le géant onirique bondit, Métis ne cille pas, il fait face. Pourtant lorsque les crocs gigantesques frappent, ils ne rencontrent que le vide et un peu de sable. Métis a disparu dans un léger nuage de sable. Derrière le loup, le sable change de forme laissant apparaitre le chevalier d’Onis. Il est un songe dans le rêve, la terreur n’a aucune prise sur lui, le gardien s’épuise à affronter un mirage. La terreur s’émousse à courir inlassablement après ce qui n’existe pas. Métis apparait toujours avec un sourire réconfortant. Le loup attaque encore, bondit et retombe, Métis est quelques centimètres en arrières, toujours sous la main, sans cesse hors de portée, toujours souriants. La taille du loup se réduit progressivement, puis finalement, il revient à une taille normale. Métis tend la main et caresse la bête, qui disparait aussitôt. Il n’a guère le temps de savourer sa victoire, le sol tremble sous ses pieds.

Un serpent hideux, noir, jaillis du sable, un visage humain avec une bouche démesurée d’où jaillissent deux crocs aussi long que des sabres, le venin qui les parcourt brille au soleil onirique, Métis en hume l’odeur infecte.
C’est son visage que le serpent d’ombre arbore. Le serpent symbolise le mal dans beaucoup de culture, rarement autre chose, écaillé, il est toujours néfaste.

Apres la peur c’est à la colère et la haine que Métis fait face. Un sentiment que le rêveur lui-même perçoit comme… impropre, il y a là du ressentiment, peut être le résultat d’une forme de trahison.

Plutôt que de soumettre le rêveur Métis préfère affronter chacun de ses gardiens, souvent les épauler face à leur propre démons. Certains diront qu’il les guérit, il dirait qu’il dresse le cauchemar. La terreur du rêveur n’a jamais rencontré de cible, ce n’était pas contre lui qu’elle était dirigée, il lui a été facile de l’éviter.

Dans sa colère, en revanche, le rêveur l’accuse. Une accusation futile, basée sur un stéréotype, un cliché, le rêveur lui-même semble s’en apercevoir sans pouvoir l’en empêcher. Dirigé contre lui, Métis ne pourra l’éviter si facilement, il ne compte d’ailleurs pas le faire. Il rejette ce raccourci qui fait de lui un coupable par faute d’apparence. Le serpent tente de frapper et se retrouve repoussé. Ses assauts de plus en plus violent, le force lui-même à reculer. Métis avance, il ne sourit plus, il marche lentement en direction du serpent qui frappe avec une force croissante.

Le visage de Métis apparait encore sur la tête du serpent, déformée par la colère plus que par les crocs. Le serpent attaque, Métis lève une main.
– Tu te mens !

Le visage monstrueux se fracasse contre une barrière invisible, un éclair vert le rejette violement en arrière, tout son corps se soulève et va s’étaler plus loin.
Le serpent n’a rien perdu de sa taille monstrueuse, mais son visage a changé, Métis reconnait le garde qu’il a rencontré à la sortie l’avion, le premier jour où il est arrivé sur le camp. Le serpent attaque de nouveau.
– Tu me mens !

La créature s’écrase de nouveau contre le bouclier, et est rejetée de nouveau.
Métis n’est pas l’objet de cette colère, il le sait, les attaques ne l’atteignent pas. Les attaques du rêveur sont arrêtées par ses doutes, ses incertitudes. Métis n’est pour rien dans le combat qui se mène, il n’est qu’une manifestation. Le rêveur se combat lui-même.

La taille du monstre s’est considérablement amoindrie, le visage du reptile change encore, le co-pilote de l’avion qui l’a amené au camp.
– Encore un effort, tu y es presque.

Le serpent a encore rétrécit tenant à peine dans le creux de la main de Métis. Il se transforme en hydre, chaque tête un visage différent, tous tentant de mordre sans succès le poignet du Chevalier d’Onis.
– Tu n’es pas en colère contre moi.

Metis ferme sa main en poing, le serpent disparait.
Une certaine sérénité se ressent alors dans le rêve, un froissement d’aile, Metis ne lève pas les yeux, il attend… des serres longs comme des sabres touchent le sol.

La terreur, la colère, le plus terrible des gardiens vient d’apparaitre. Et il sait que contre celui-là… il ne peut rien.

Un corbeau lui fait face, bête créature, noire. Pour beaucoup de peuple, un lien entre les vivants et les morts. Métis comprend, il comprend qu’il est trop tard. Le temps de cligner des yeux et le corbeau se retrouve en état de décomposition avancée. Au fur et à mesure que sa taille augmente, les immondes détails de la putréfaction se font plus apparents. Les verts se repaissant des chairs du cadavre, l’odeur pestilentielle. Le rêveur est mort… et ce depuis longtemps. La terreur, la colère, puis vient la peine. Le rêveur est mort seul, terrifié, en colère contre sa condition, la douleur venu de la trahison d’un homme, quelqu’un de type caucasien, au profit de gens d’ici, cela s’est passé dans ce pays. La douleur, la peine.

Le corbeau attaque de son bec, perforant le chevalier d’Onis, laissant un trou béant à la place de son cœur.
La douleur, la peine, il ne peut que la partager.
Il comprend pourquoi Vogari lui a demandé de venir enquêter. Il n’a jamais été humain, jamais été vivant, il ne peut entièrement comprendre les passions qui nous traversent tels des tempêtes. Il ne peut comprendre ce qui pousse un mort à rester parmi les vivants.

Métis n’est pas le plus compatissant des Chevalier d’Onis, il n’est même pas parmi les puissants, mais il est facilement parmi les plus curieux. Il est de ceux qui veulent comprendre. Il n’a pas spécialement plus de pitié que les autres, il partage.
Le rêveur le ressent, sa terreur s’en est allée, sa colère s’est apaisée, sa douleur est comprise, soudain mis a nue, il n’y a finalement plus rien à cacher.

Le corbeau reprend une forme plus agréable et s’envole. Métis change progressivement de forme, il est aussi un corbeau, bien que plus facilement fait de lumière que d’ombre, tant les rayons du soleil se reflète sur le plumage, il a toujours un trou béant a la place du cœur.

Les deux oiseaux survolent une contrée éloignée, des prairies vertes à en être lumineuses, des cours d’eau turquoise, des aigles dans le ciel, un soleil aveuglant. Des couleurs comme seules peuvent en exister dans les souvenirs d’enfants.
Une enfant, de celle que l’on a appelé à tort indiens, court dans ce décor avec des amies dont on entend que les sons, elle suit un sentier qui la mène sur une zone d’ombre où se tient un homme, de type caucasien. Métis reconnait les vêtements, la physionomie, l’un de ses colons anglais, peut être l’un des tous premiers, avant les tuniques bleus et le reste des atrocités qui se sont abattus sur le continent américain. La scène qu’il voit date de plus de 500 ans. La surprise le force à décoller son regard de la scène, d’où provient des cris d’enfants terrifiés pour regarder son compagnon de vol, un croassement sévère le force à regarder de nouveau.

Il a raté une partie de l’histoire mais la comprend aisément. La petite fille a été enlevée, violentée puis emmenée loin de chez elle. Après plusieurs zones d’ombres, de parages qu’elle ne peut reconnaitre n’ayant pas les concepts dans sa culture, elle arrive avec l’homme dans un pays de sable, quelque part loin de ce désert. Là une des tributs vivant dans le désert les rejoint, ou les capturent-ils ? L’homme s’en va pourtant, la petite fille, devenue jeune femme entre-temps reste avec la tribu. L’homme traine un trésor.
Enfin, une nuit, on voit la jeune femme s’enfuir, loin de la caravane, seule. Apres plusieurs jours d’errance elle tombe extenuée, Métis reconnait la petite dune. C’est ici qu’elle est morte se dit-il.

Son compagnon de vol croasse de nouveau, une approbation ? Il voit la pauvre jeune fille dans le sable, les lèvres gercées remuant en une prière. Une prière aux esprits de sa tribu, les seuls dieux qu’elle connaisse. Elle ne connait pas cette terre mais elle la comprend, mieux que les hommes qu’elle a laissée derrière. Le désert prend néanmoins son dû, le désert prend toujours son dû. Mais sa prière a réveillé quelque chose dans cette terre.

L’Afrique n’est pas étrangère à la douleur, à la peine et malheureusement aux atrocités des hommes. Croire qu’elle en est indifférente est un tort, mais ce fut à l’humanité qu’échut la responsabilité de rendre justice, pas aux terres. Cette terre, ou les esprits réveillés par les prières de la jeune femme, sont-ce la réellement des entités tant différentes ? Ont protégés cette âme trop meurtrie et en colère, pour faire face aux juges de l’au-delà, tout du moins ceux qu’elles s’imaginaient.

Jusqu’à ce qu’une âme vienne la délivrer. Inconsciente de cela, elle a appelé au secours depuis lors, fuyant ceux qui l’avait blessée.

Elle ne voulait que s’échapper, revenir chez elle.
Métis comprend tout cela et laissant le dernier gardien à son vol redescend sur le sol, reprenant sa forme humaine. Là l’attend le rêveur, ou la rêveuse. Elle sourit, libre de la peur et de sa colère. Métis lui transmet ses propres images, le monde tel que lui le voit, l’Afrique telle que lui la voit, le désert tel qu’il le perçoit. Elle sourit toujours. Métis n’est pas un juge, il n’est pas un justicier, il ne règle pas les comptes célestes, ne peut revenir en arrière. Il ne peut qu’aller de l’avant. C’est ce qu’il propose, il enseigne à la jeune femme comment changer de forme, comment marcher d’un rêve à l’autre, il lui enseigne à comprendre, et apprend d’elle tout autant qu’elle apprend de lui. Elle devient marcheuse d’Onis.

Enfin il lui donne un nom, la femme qu’elle était est morte, il est injuste qu’elle n’ait eu la chance de vivre heureuse, il ne peut lui apporter justice, ceux qui l’ont blessée sont morts depuis bien longtemps. Il ne peut que lui offrir demain, elle accepte.

Depuis, ceux qui se perdent dans le Sahara, ceux qui prêtent attention aux vents et aux humeurs des terres qu’ils arpentent, les plus sensibles, ceux qui écoutent, ceux qui se sentent seuls parce qu’ils leur manquent quelqu’un, sourient des fois, réconfortés par une impression étrange, une légende qu’ils croient avoir un jour entendu, embrassés par une légère brise, une musique dans le souffle du désert.

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